«Le bonheur consiste à s'apercevoir que tout est un grand rêve étrange»
-Jack Kerouac

Portugal

Cette fois-là mes amis, cette fois-là
Nous étions au Portugal
Ah ouis, terre sacrée, terre du bout du monde
Nous étions encore plus loin que Sagrès
Dans un petit village blanc
Blanc, comme un prélude du Maroc
Un village, au nom suave de Salema...
Salema... Falaise, rochers, eaux turquoises, vies de village, airs de vacances,
Douceur. Liberté. Lenteur. Chaleur.
Les plantes sont immenses. Plus grandes mêmes que nous.
On se croirait aux temps des dinosaures, oui.
Des aloès, aux fruits si gargantuesques que la gravité les écrasent sur le sol. Un tronc. Brisé.
Des palmiers, couleurs fluos, couleurs vins, couleurs vies.
Des bestioles, des lézards et puis aussi, des infestations d'escargots. Touts. Plein. Colonies d'escargots sur les plantes qui, elles, suffoquent. Pression. Manque d'air. Parasitisme.
C'est un peu ça le Sud. Manque d'air.
Et les vagues. Les vagues. Elles sont immenses. Elles peuvent, d'un coup de langue, langue terrifiante, haute, puissante, dominante, elle peut, oui, t'envoyer, t'emporter. Et là-bas, c'est la solitude... ou les bateaux de pêcheurs le matin ! Ah, ces âmes, tôt le matin au boulot, avant même que le vent ne se lève, avant même que la brume ne se fasse, ils quittent le port, prennent le large, filets, art de vivre, chiens et rapaces de tous genres au rendez-vous. C'est toute une autre réalité que celle qui se passe vers les cinq, six heures.
Ah, Portugal...
C'est un peu le Paradis. C'est beaucoup le Paradis.
Desfois, la nuit, au loin, dans notre tente, dans un camping quelconque, séparés des voisins par des bambous, des orangers et des lauriers, on entend au loin, oui oui, écoute, au loin, on entend le boum boum.
Besoin de fête. Regroupement. Nature.
Escargots devenus humains, prennent d'assaut la nature, dansent, bougent, se meuvent au rythme de la musique. Musique divine. Ouais. C'est vraiment rassurant d'entendre notre pouls comme ça à des lunes de chez soi.
Au Portugal, donc, dans ce Sud, Portugal à l'extrême, on se transforme.
Petit à petit, on s'adapte on climat tropical.
Pat croise un serpent mort sur sa route. Il arrête sa route. Regarde l'animal. Dissèque l'animal. Mais voilà; il n'a pas les outils nécessaires et il abandonne, déçu.
Peu après, il remarque, au cours d'une longue marche, des tiges de bambous, il arrache, bâtons de marche. Armes.
Élégant, gallant, il m'en offre un. Amour.
On découvre des cactus, des champs de cactus.
des aiguilles de cactus. Armes.
Elles sont épinglées à sa chemise.
On goûte, on suce, on mange les fruits sur notre route.
L'expédition n'est possible que par la stimulation de tous les sens.
On s'épuise puis on se cuisine les légumes frais du pays, du jardin du marchand.
Le rythme est très sain, très doux.
Le midi, je pars. Mon stock de maquillage dans mon sac.
J'espère chaque fois combattre ma gêne, être capable de solliciter les gens. Putain, j'ai besoin d'argent. On est foutu au Portugal. Les réserves descendent dangereusement. 75 Euros en banque. Tous les jours, je promets à Pat des jours de grands succès; des tonnes d'enfants, en ligne, qui veulent se faire maquiller un petit dessin, rien de bien réaliste, rien qu'un petit rêve dessiné sur la peau, parce qu'en fait, je n'ai pas vraiment de talent en dessin, que de la fantaisie. Ce jour ne vient pas.
On dirait que ce n'est pas ainsi que le voyage doit se dessiner.
On est plutôt acculé au pied du mur.
70 euros, nous en devons 100 au camping.
La solution est évidente : l'évasion.
Nous projetons. Imaginons. Testons.
La chose n'est pas si simple.
Nous faisons une tentative en plein jour et tombons nez à nez avec un employé du camping.
«Ouais, hmm. Nous changeons de site. Nous nous rapprochons de l'entrée. Fatiguant, à la fin »
Puis la nuit suivante, c'est le moment.
Nous devons quitter.
Le jour même nous avons acheté deux billets pour quitter le pays, direction Bruxelles. On change de pays. Carrément. Hein, Pat? Carrément.
Un gardien surveille l'entrée. La lune, pleine, surveille le gardien. On ramasse la tente. En silence. Je frémis, putain c'est quand même contre mes principes! Dommage, sympas les propriétaires...
On approche de l'entrée. Pat me dit que «c'est bon». C'est bon??? Quoi, c'est là, qu'on sort ? Oui, on est Sur la route, notre quête est trop importante, nous devons poursuivre notre chemin. Tellement à voir.
On se faufile parmi un couple qui lui aussi franchit l'entrée, à l'aurée de la lune. Pleine lune.
On sort. Ce sont toutes les particules de nos corps qui se jettent en avant pour sortir, on est propulsé, stressé, angoissé, envie de rire, de rire, de rire.
On est libre. La nuit est d'encre. La lune est pleine. À terme.
Les étoiles sont fières. Le silence est solennel.
On se réfugie sur la plage. Où ailleurs aller en ce pays de déserts, de falaises et de mers?
La plage au moins, nous voulons y faire nos adieux. En toute sincérité. La regarder une dernière fois, la regarder et se perdre dans l'horizon, jusqu'à en oublier l'objet de notre prière.

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Citations

  • «Une montagne, pour moi, est comme un Buddha. Pense à leur patience. Il y a des centaines de milliers d'années qu'elles sont là, parfaitement silencieuses, comme si elles priaient pour tous les êtres vivants, dans le silence, attendant que nous mettions un terme à notre agitation et à nos stupidités.» - Les clochards célestes, Jack Kerouac
  • «Les universités [ne sont] pas autre chose que des écoles de dressage pour les représentants de la classe moyenne, dépourvus de personnalité, comme ceux qui peuplent les rangées de bungalows cossus, alignés, aux abords de la cité universitaire, avec pelouse, télévision et living-room où tout le monde regarde en même temps le même spectacle et pense la même chose, tandis que les Japhy du monde entier rôdent dans le désert pour entendre les voix qui crient dans le désert, connaître l'extase étoilée de la nuit, découvrir le mystérieux secret originel de notre civilisation sans visage, sans beauté et sans scrupules.» - Les clochards célestes, Jack Kerouac