«Le bonheur consiste à s'apercevoir que tout est un grand rêve étrange»
-Jack Kerouac

Paysage en deux couleurs sur fond de ciel - partie II

Saint-Denys Garneau

Un mort demande à boire
Le puits n'a plus tant d'eau qu'on le croirait
Qui portera la réponse au mort
La fontaine dit mon onde n'est pas pour lui

Or voilà toutes ses servantes en branle
Chacune avec un vase à chacune sa source
Pour apaiser la soif du maître
Un mort qui demande à boire.

Celle-ci cueille au fond du jardin nocturne
Le pollen suave qui sourd des fleurs
Dans la chaleur qui s'attarde
à l'enveloppement de la nuit
Elle développe cette chair devant lui

Mais le mort a soif encore et demande à boire


Celle-là cueille par l'argent des prés lunaires
Les corolles que ferma la fraîcheur du soir
Elle en fait un bouquet bien glonflé
Une tendre lourdeur fraîche à la bouche
Et s'empresse au maître pour l'offrir

Mais le mort a soif et demande à boire

Alors la première et troisième s'empresse elle aussi dans les champs
Pendant que surgit au ciel d'orient
La claire menace de l'aurore
Elle ramasse au filet de son tablier d'or
Les gouttes lumineuses de la rosée matinale
En emplit une coupe et l'offre au maître

Mais il a soif encore et demande à boire


Alors le matin paraît dans sa gloire
Et répand comme un vent la lumière sur la vallée
Et le mort pulvérisé
Le mort percé de rayons comme une brume
S'évapore et meurt
Et son souvenir même a quitté la terre.



Bras dessus, bras dessous

Bonheur ! T'es encore v'nu cogner à ma porte !
T'sais Bonheur, c't'un peu gênant de te r'cevoir si souvent...Et les gens et les qu'en dira-t-on ? C'qu'on fait avec ?
Aaahhh... Bonheur, j'dois quand même te dire que quand t'es pas là, j'rêve de toi, j'ai hâte de t'voir pis d'embarquer dans tes aventures de fou ! J'imagine quel manteau tu porteras, quels mots tu diras et quelles routes tu défricheras à grands coups de rires et de gestes farfelus !
Bonheur, mon ami des soirs qui se prolongent en lendemains, mon ami des jours sans faim, mon ami au coude léger, accoté aux comptoirs des milles-crocs brasserires, mon ami aux paroles sur trame de didg et sur fond de fumées bleues, vertes, rouges et jaunes, bien sûr !
Aaahhh... Bonheur, j'ai envie qu'on parte, bras dessus, bras dessous, comme des amants interdits, qu'on couraille les flocons à la recherche des plus gros, qu'on les accroche à nos cils pis qu'on laisse fondre les plus p'tits su'l'bout d'nos langues collées, unies comme un pont j'tté entre deux rivières solitaires...
Bonheur, pourquoi tu viens tant chez moi ? C'tu parce que j'te reçois bien ? Aimes-tu mes cérémoniades et mes rituailles ? C'tu parce que, chez nous, la Vie est un festivaille ?
En tout cas, Bonheur, quand il fera trop noir dehors, à cause des canons, du diésel et des pensées obscures des âmes impures, tu pourras toujours v'nir t'réfugier che'nous pis on dansera comme des fous, sur une trame de didg, pis on rira, pis on défrichera la Vie et on fera jaillir la Lumière !

...merci Bonheur de faire passer ta route par mon chemin !...

Amitié

C'était bon de te revoir,
Abeille,
C'était fou, comme avant,
On butinait la vie, dans
tous ses revers, ses travers,
ses beautés et ses détours
C'était cru, comme toi et moi,
Vrai avec les taches et les oeuvres,
Avec les mots vrais, les vraies odeurs,
C'était pur, pur, translucide ton regard,
Transparente, ton âme bleu ciel,
Fracassant ton rire, fracassant de
vérité
C'était troublé de brouillard,
Aussi. Comme on l'aime.
Comme un matin en Gaspésie,
comme un tiroir métaphysique

C'était vraiment trop bon de te revoir, petite abeille, Méli-Amé,
C'était fou comme avant. On butinait la vie

L'art d'errer

Flâner
C'est l'art de se balader,
de marcher sans guider nos pas,
sans direction, dans toutes les directions.

Flâner
C'est oublier d'où l'on vient,
sans chercher à savoir
où l'on va,
C'est une quête sans mission.

Flâner
C'est se laisser traverser de vibrations,
C'est exister, les pores en mode réception,
C'est analyser en plein Laboratoire de la Vie.

Je suis désolée

Regard lucide, perlé de cristaux de larmes bleutées.
Comment un si petit être, véhicule lilliputien, peut-il avoir tant de douleur dans ses yeux?
Nous sommes tous coupables de cette désillusion, de cette fausse représentation.


Ici et maintenant

Supprimer le langage
Oublier le passage.
Menacer d'exister,
Ici et maintenant.
Savoir-Pouvoir
Vouloir-Mouvoir.
Ce n'est pas un jeu,
C'est de la fiction.

C'est ta réalité,
C'est la mienne aussi.
Fracas d'amas,
Bruits de poussière,
Saveurs de misères,
Couleurs de vipères.
Ce n'est pas un jeu.
C'est de la friction.

Colonies en décrépitude,
Opium en écume,
Bouche vide, bouche sèche,
Les sens craqués, rouillés,
Le filtre vicié de bonheur,
Un savoir sacré de malheurs.
Ce n'est pas un jeu,
C'est un frisson.

C'est ma réalité.
C'est la tienne aussi.

Citations

  • «Une montagne, pour moi, est comme un Buddha. Pense à leur patience. Il y a des centaines de milliers d'années qu'elles sont là, parfaitement silencieuses, comme si elles priaient pour tous les êtres vivants, dans le silence, attendant que nous mettions un terme à notre agitation et à nos stupidités.» - Les clochards célestes, Jack Kerouac
  • «Les universités [ne sont] pas autre chose que des écoles de dressage pour les représentants de la classe moyenne, dépourvus de personnalité, comme ceux qui peuplent les rangées de bungalows cossus, alignés, aux abords de la cité universitaire, avec pelouse, télévision et living-room où tout le monde regarde en même temps le même spectacle et pense la même chose, tandis que les Japhy du monde entier rôdent dans le désert pour entendre les voix qui crient dans le désert, connaître l'extase étoilée de la nuit, découvrir le mystérieux secret originel de notre civilisation sans visage, sans beauté et sans scrupules.» - Les clochards célestes, Jack Kerouac